Le business du disque n’a jamais été facile, et l’est encore moins aujourd’hui pour un jeune label indépendant. C’est pourtant dans ce créneau que s’est lancé Benjamin Boguet alias Cosmo Vitelli. Après être revenu de l’univers des majors (Virgin) où il a sorti son premier album Clean en 2003, il crée début 2004 sa propre structure : I’m a cliché. Signant des artistes aussi importants que Simian Mobile Disco, Yuksek, Tacteel, Aysam, Bo’tox (son groupe avec Julien Briffaz de Tekel), Dirty 30 et bien sûr lui-même, le label s’est récemment vu récompensé par DFA qui licencie dorénavant quelques titres du catalogue pour le territoire américain. Mais bon sang Cosmo, c’est quoi le secret de la réussite d’I’m a cliché ?
Tout d’abord I’m a cliché a démarré il y presque 4 ans comme quelque chose qui n’était pas censé se prolonger dans la durée. Je sortais d’un album sur une major à l’époque et je ne me suis pas vraiment senti à ma place dans cet univers. A la base j’ai crée cette structure sans volonté de la développer ou d’en faire quelque chose d’extrêmement structuré ou de professionnel. Je m’en suis servi comme truc de décompression et pouvoir produire des choses qui rentraient dans un circuit un peu plus club.
Qu’est ce qui ne te convenait pas dans l’esprit ou l’attitude des majors ?
C’est tout simplement le mode de fonctionnement. Il faut être très cohérent et moi à ce moment là je n’étais pas fait pour ça. C’était une période un peu curieuse : le premier venu qui sortait une démo en musique électronique à peu près décente trouvait un deal sur une major. Et la réalité c’est qu’ils étaient tous en train de réclamer des avances mirobolantes sauf qu’il n’y avait que très peu de disques qui marchaient. Et pour sortir un disque sur une major il faut répondre à des critères, en tout cas pour prétendre à un certain nombre de vente, la promo à outrance, etc… Bref, ce n’était pas des choses dans lesquelles j’avais envie de rentrer.
Dirty 30 – The roman steppes
Le formatage ?
Un petit peu d’une certaine manière. Mais faut être cohérent. Si tu rentres dans un circuit qui est celui des majors, issues de la Pop, tu dois incarner à 200 % ta musique. Et ce qui est extra musical prend beaucoup plus de place que dans un réseau plus indé.
Moi en tant qu’auditeur j’ai envie de quelque chose d’un peu plus musical, qui me ressemble plus, c’est à dire pas simplement se concentrer sur un mini-moment de l’histoire de la musique qui serait la minimale et sa filiation Robert Hood / Maurizio / Richie Hawtin / et la scène allemande, mais avoir des choses où il y a parfois des instruments, tout en s’inscrivant dans une tradition un peu club et dansante.
I’m cliché démarre donc en 2004
Oui avec comme premier maxi deux titres que j’avais produit sous le nom C.H.E. La face b c’était à l’origine un remix que j’avais fait pour Lacquer, que j’ai retravaillé par la suite, dans la mouvance électro-dark de l’époque et en face a un truc un peu bizarroïde avec un texte sur des pigeons… C’était un essai.
Et c’est resté un one-shot…
Disons que je fais de la musique, j’en produis, mais je suis aussi très consommateur de musique. J’ai beaucoup de disques, et à chaque fois que je tombais sur un truc intéressant, je me disais pourquoi ne pas le sortir. Et j’avoue que je me suis un peu ruiné au début car j’avais un mode de fonctionnement freestyle. Puis est arrivé la rupture de mon contrat par Virgin comme ils ont fait avec d’un tiers de leurs artistes. Ca ce passe simplement d’ailleurs.
Comment ?
Et bien un jour il y a un mec qui vient des USA avec une petite mallette, qui regarde le contrat et qui dit à l’artiste :
« En ce qui vous concerne vous avez vendu combien d’albums ? »
Le type répond :
« Tant de copies ».
« C’est combien les avances pour les disques suivants ? »
« C’est tant, tant et tant »
« Et bien ça ne nous va pas. Rendez-nous votre contrat »
Voilà comment ça se passe. Je n’ai rien contre eux, car les gens dans les maisons de disques subissent. A l’époque ils pensaient qu’ils pouvaient maîtriser encore quelque chose, alors que maintenant ils savent que ce système est voué à imploser. Petite parenthèse, si tu veux aujourd’hui un bon job où tu souhaites te retrouver bien au bout du rouleau et taper six mois de dépression, c’est bosser dans une maison de disque qu’il te faut.
Cosmo Vitelli – Delayer
Et quelle en a été l’issue ?
J’ai pris un avocat et j’ai bataillé. J’avais zéro thunes et je me suis battu pour défendre mes intérêts en fonction d’un contrat que j’avais signé, et j’ai récupéré pas mal d’argent. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait vivre jusqu’à maintenant et qui m’a aussi donné l’occasion de sortir pleins de disques à perte. Ca m’a aussi permis de comprendre comment fonctionnait un label.
C’est dur de faire vivre une telle structure aujourd’hui ?
Au départ on ne se rend pas compte de la masse phénoménale de sorties, en particulier dans l’industrie du vinyle. Ton disque n’existe pas. Tu commences un label, tu utilises un pseudo… T’as beau faire un peu de promo etc… tu n’intéresses personne. C’est un truc de mise en place hyper laborieux. A moins d’avoir le profil de labels qui sont des grosses artilleries type Ed Banger, qui marchent vite et très bien, ce n’est pas simple d’émerger, de se faire une place, un nom.
Les mecs sortaient des labels français, et comme Cyber était en situation de monopole et que la plupart des magasins avaient fermé, et bien on ne pouvait pas trouver ces disques à Paris ! (…) Ils veulent asphyxier complètement les autres distributeurs. Et parfois ils préfèrent ne pas dealer avec les distributeurs français, et vont commander les mêmes disques en import à l’étranger pour les couler. C’est un peu hardcore.
Depuis cette année on sent que tu reprends les choses sérieusement pour I’m a cliché…
Oui il y a plusieurs explications à cela. D’abord le fait qu’on ai été beaucoup sollicité pour le projet Bo’tox (Cosmo Vitelli + Julien Briffaz du duo Tekel) dont les disques sont sortis sur mon label et celui de Tim Paris (Marketing). J’ai aussi réorienté d’une manière un peu plus sérieuse I’m a cliché. J’essaye de faire des disques qui durent, et de rester cohérent.
Bo’tox – Tragedy Symphony
C’est quoi alors cette nouvelle direction ?
Plus organique. La plupart des disques ne sont pas formatés très club… D’ailleurs je pense que les clubs ont tendance à se refermer un petit peu. Ils ont été ouverts quelques années et paradoxalement si tu as la très mauvaise idée de monter un label aujourd’hui, t’es mal barré pour trouver un distributeur si tu fais autre chose que de la minimale ou des trucs un peu dur. La musique à tendance à être tirée vers le bas. On est vraiment dans le formaté à outrance. Moi en tant qu’auditeur j’ai envie de quelque chose d’un peu plus musical, qui me ressemble plus, c’est à dire pas simplement se concentrer sur un mini-moment de l’histoire de la musique qui serait la minimale et sa filiation Robert Hood / Maurizio / Richie Hawtin / et la scène allemande, mais avoir des choses où il y a parfois des instruments, tout en s’inscrivant dans une tradition un peu club et dansante.
Une sorte de DFA ou Gomma à la française ?
Je suis très pote avec les gens de Gomma, mais les disques qu’ils produisent ne sont pas ceux que je sortirais. DFA c’est un peu plus ça… Mais ce n’est pas vraiment ça en fait (rires). Non, je pense qu’il y a une sorte de communauté d’esprit, comme avec certains labels français, même si on ne sort pas les mêmes choses. Les gens dont je me sens proche avec qui on aime s’échanger des trucs, c’est Versatile, Tigersushi, Kill the dj… Musicalement parlant on est pas toujours sur la même longueur d’onde, mais ce sont des gens qui m’intéressent plus spécialement. Par exemple Versatile je trouve que ce qu’ils font en ce moment est vraiment bien. Le remix d’Ame pour Etienne Jaumet est pour moi l’un des morceaux de l’année ainsi que le remix d’Antibodies de Poni Hoax par Château Flight est juste fantastique. C’est tout ce que j’ai envie de jouer.
Revenons à ton projet Bo’tox. D’abord c’est quoi ce fantasme de ferrailleur avec toutes ces bagnoles en ruines sur chaque covers ?
Le thème des voitures est venu lorsqu’on a composé le deuxième maxi (le premier était sorti chez Marketing) sur I’m a cliché, dont le titre Crash cadillac se retrouve sur la compile d’Ivan Smagghe et Chloé (The dysfunctionnal family sur Kill The dj). On voulait que les morceaux soient une espèce de rouleau compresseur, avec toujours un titre lent et l’autre destiné aux clubs, basé beaucoup sur les expérimentations et avec un feeling un peu brutal. Je pense qu’on doit se concentrer et définir un univers précis et thématique. Ca ressemblait bien à l’esprit des morceaux que d’essayer de faire référence en permanence à la culture des voitures. C’est pas vraiment ferrailleur, c’est tout ce qui tourne autour de la violence qu’inspire cet espèce d’objet quotidien qu’est la voiture. Mais ça n’est pas une parodie de crash. En prenant un point de départ assez précis, on voulait voir ce que l’on peut en tirer. Ca peut donner pleins de trucs, on a pas mal d’idées autour de ça.
Runaway – She did it for the money
Bo’tox sort à la fois sur I’m a cliché et sur DFA. Il consiste en quoi ce deal ?
C’est un peu une sorte de blague. Le terme du contrat c’est d’utiliser des morceaux aux Etats-Unis, sauf que DFA est un label qui vend tous ces disques en export. Donc on ne va pas considérer que le truc est vendu aux USA, tout le monde s’en fout. Enfin on est très content que ça sorte sur DFA.
T’exportes I’m a cliché dans les autres pays ?
Dieu merci il n’y a que comme ça que j’en vends ! Le problème fondamental de la France c’est que c’est un marché dérisoire, quasi-inexistant…
…pour le vinyle ou le disque en général ?
Pour les deux mais principalement pour le vinyle. Et notamment du fait que tous les magasins ont fermé les uns après les autres à Paris, et ce pour une raison très précise : la responsabilité du magasin et distributeur Cyber. Du jour au lendemain, alors que tout le monde avait du mal à s’en sortir en vendant les disques à 10 euros, d’un coup tu as un mec, qui est distributeur par ailleurs, qui met tous ses disques en exclu, dans endroit immense, à 9 euros. Résultat, tous les autres shops ont fermé les uns après les autres.
Pour juste 1 euro de différence ?
Il y a ça, et puis aussi du fait de leur double casquette (distributeur et shop). Ils se sont mis à refuser de prendre des disques d’autres distributeurs genre Topplers, Discograph souvent… Les mecs sortaient des labels français, et comme Cyber était en situation de monopole et que la plupart des magasins avaient fermé, et bien on ne pouvait pas trouver ces disques à Paris ! Les miens par exemple on ne les trouve pas chez Cyber, car ils sortent chez Topplers. Ils veulent asphyxier complètement les autres distributeurs. Et parfois aussi pour certains labels qui ne sont pas distribués en France par Cyber, ils préfèrent ne pas dealer avec les distributeurs français, et vont commander les mêmes disques en import à l’étranger pour les couler. C’est un peu hardcore. Ca fragilise tout le monde, les distributeurs, les labels, donc les artistes, c’est infernal…
Cosmo Vitelli – Converted
Et bien ce n’est franchement réjouissant tout ça. Tu as un dernier petit mot pour terminer sur une note un peu plus optimiste ? Tes prochaines sorties par exemple ?
Mes priorités sont d’abord finir l’album de Bo’tox qui sera assez surprenant je pense, en tout cas c’est l’intention de départ. C’est toujours casse-gueule de faire des choses quand tu n’as pas forcément de repères. Et puis produire pleins de groupes, les enregistrer, les sortir, si possible sur I’m a cliché, si c’est toujours viable. Sinon je sors en ce moment un nouveau maxi Converted / Le radiateur et je viens de finir un remix pour Simian Mobile Disco.
Credit Photo – Maud Bernos
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