Le mystère Shed
Dans notre petite rentrée électronique (je dis petite par rapport à celle qui se déroule dans les librairies), si il y a un disque dont tout le monde a parlé dès cet été, l’alter-ego techno de Michel Houellebecq en somme (pour l’occasion), il s’agit bien évidemment du deuxième album du sieur René Pawlowitz a.k.a. Shed, attendu par les aficionados le couteau entre les dents.
Car Shed ce n’est pas que Shed. C’est avant tout un ensemble de combinaisons et pseudos underground balancés brut de décoffrage à même le vinyle, sous les alias Wax, Equalized, STP, ou encore Panamax. Des disques au son inimitable (une chord, un beat, une ambiance et on envoie la sauce), dans un style neo early-90 minimal sans équivalent.
Tout le monde en a fait les frais sur un dancefloor moite ou dans sa chambre : dès que l’un de ses tracks arrive dans les boomers, la tension monte d’un niveau, on se voit machinalement augmenter le volume, puis remuer un peu plus la tête, crier “booom !” et passer un moment complètement déconnecté du reste, un peu en lévitation. Bref, l’effet Shed, on sait ce que ça signifie.
Étant un inconditionnel depuis ses Soloaction, j’ose redire, au risque de me prendre des tomates, que je n’avais pas accroché sur Shedding the past, pourtant acclamé par la blogosphère, mes amis, et top1 de Resident Advisor cette année là. Bon, ne revenons pas sur ce moment pénible (les tomates) détaillé quelque part sur Boing, pour passer directement à ce qui nous incombe (ou nous décombe) aujourd’hui : son nouvel album intitulé The Traveller.
Deux choses interpellent avant même sa sortie. Premièrement une réflexion de Chris du blog mnmlssgs concernant une note sur le promo-cd qui “justifiait” le fait de sortir de la techno en format album. Aie, pourquoi prendre l’extrême précaution de la part du label / de la promotion, de vouloir expliquer avec des mots et de façon instante (car écrit à même la pochette du cd) en quoi cet album devrait être bon malgré son format ??
Bon admettons qu’il ne s’agisse que de (maladroite) communication. Le deuxième élément qui met la puce à l’oreille (chose rare, voir inédite pour un label de la trempe d’Ostgut Ton) est d’avoir proposé en streaming l’intégralité des morceaux de l’album par le biais de Soundcloud et du webzine Fact Magazine. Encore une innovation promotionnelle ? Mais pourquoi faire ? Quel intérêt de proposer tout le package quelques semaines avant sa sortie, avec une qualité sonore limitée, et condamné à être écouté en mode fast-food, entre deux mixes téléchargés à droite à gauche ? Pourquoi ont-ils décidé de le mettre en intégralité, si ce n’est pour que le maximum de personnes (notamment les blogueurs amateurs) en parlent et inondent le web et les forums spécialisés, faute de pouvoir miser sur une réussite du projet en mode autonome ? Ont-ils eu un manque de confiance sur ce disque ?
Encore une fois, tout ceci n’est que communication et ne doit ressortir qu’une fois l’album écouté et digéré. Ce n’est qu’après que l’on fait le bilan avec une vue d’ensemble sur la chose.
C’est donc sans aucune appréhension, plutôt une petite excitation de retrouver l’un des producteurs techno les plus innovants (et peut-être même visionnaires) du moment, que j’avais écouté le promo sur internet, une ou deux semaines avant sa mise en ligne par Fact Magazine.
Ne passons pas par quatre chemins, j’ai tout de suite été déçu. Et même triste pour l’un des mes artistes préférés. On a l’impression de se retrouver avec la b-side virtuelle d’un album à télécharger en digital gratuitement une fois le support physique acheté. Ça me fait de la peine de le critiquer aussi durement, mais par pitié ne pas tombons pas dans une nouvelle hype (Berghain etc..), et ne trompons pas le public qui ne le connait pas encore en évoquant ce disque comme ce qu’il n’est pas : quelque chose de moderne, “minimaliste mais déroutant si on se donne un peu de peine pour le comprendre“. On croirait revenir aux critiques dithyrambiques (décidément synonyme de branlette pour beaucoup de pseudo-parangons de la mode musicale) sur les pets de mouches issus de la majorité des prods de Villalobos, ou de m_nus lorsqu’ils étaient soit-disant encore dans le coup.
S’il vous plait, amateurs éclairés, ne forcez pas les gens à écouter de la musique avec un mode d’emploi en leur fourguant une quelconque théorie post-moderne sur le nouvel art-contemporain (synonyme de dithyrambique également, voir définition plus haut). La musique n’a pas besoin d’explications, on la ressent ou pas. Si on la ressent, alors on peut essayer de comprendre ses mécanismes. Et pas l’inverse.
Bref, après cette parenthèse, rentrons dans le vif, tel un coup d’Opinel terreux dans un calendos à la pureté laitière encore virginale.
14 titres, en moyenne de 4 minutes. C’est court, on ne doit pas s’attendre à des tracks pour le club, mais à autre chose (c’est ce que nous allons essayer de définir, non sans mal).
Après une intro de facture classique (et bonne), on aborde de plein pied le sujet (/ problème) avec le titre Keep time sur 3 minutes. Un breakbeat monotone (bi-chrome), un peu indus, hyper répétitif et… creux. On dirait une intro qui s’éternise (vas-y Didier envoi la basse ou je sais pas fait un truc !). On passe.
The bot commence avec une chord deep presque évanescente en mode dubby. Ah ! Se dit-on, ça bouge ! Mais notre joie est de courte durée, l’attente se prolonge et finit par nous emmener dans un tourbillon d’ennui. Mais qu’est-ce qu’on attend exactement ? Une rythmique inerte en demi-dubstep qui ne prend jamais corps, de l’espace, du vide, et rien autour… sur plus de 6 minutes !
Atmo – Action a plutôt une bonne tonicité, dans le genre interlude c’est parfait (enfin un interlude de 3 min 48 tout de même), avec son de synthé type Grand Bleu (dans le style de son à la Roland D-50 pour les connaisseurs), et sa rythmique breakée indus-filtrée ça passe plutôt bien. Mais trop long pour un interlude ou une écoute domestique (car très répétitif), et trop court pour un track à mixer. Un peu bancale comme situation.
Enchainons sur la guimauve de l’album, 44A – Hard Wax forever – (comme si il était obligé de le préciser lourdement). Un titre mièvre avec une chord en montée répétée à la Underworld qui décolore en teinte barbapapa grâce à des glockenspiels complètement niaiseux qui plongent l’ensemble (enfin les 3 éléments) dans une totale hébétude primaire. Pour le côté émotionnel intense on repassera.
On zappe un peu, Mayday avec son ambiance electronica aquatique très sympa, une fois de plus perdu dans un corpus anémique ; tempête de notes rapides un peu brouillonnes sur No Way! et HDRTM, electro/acid statique sur fond de base Dettmannienne avec My R-Class mais sans réelle passion ; Final Experiment est encore une sorte de long interlude à la texture deep vraiment intéressante, très statique, là non plus sans réelle colonne vertébrale rythmique ; The Traveller propose une bulle d’oxygène avec un court beatless-track de 2 minutes plutôt agréable ; Hello Bleep! malgré sa rythmique syncopée moderne est une sorte d’ode au son Bleep de Shefield insufflé par le label Warp au début des années 90, précurseur de l’electronica et early-IDM, sur 2min 54… Et enfin, Leave Things a ce côté Jean-Michel Jarre sur le balayage du solo de synthé, quelques enveloppements de strings synthétiques, et… le sample monolithique d’une rythmique jungle ! Bon pourquoi pas.
Ce qu’on ne comprend pas, c’est vraiment l’intérêt de cet album, avec sa cohérence kamouloxienne, proposant des titres hyper courts, le cul entre deux chaises, dans un ensemble sans emphase, flemmard, et finalement à côté de ses pompes, loin du génie percutant les dancefloors, sur disque ou en live. Comment peut-on se laisser aller à sortir ce genre de morceaux “work in progress”, sans réelle identité (hormis la texture unique de ses éléments), et au final, n’évoquant aucune émotion chez l’auditeur ?
Peut-être est-ce un kif personnel qu’ont cru bon de laisser aller les gens de chez Ostgut Ton, toutefois avec les réserves cités un peu plus haut. De plus, le streaming universel de cet album avant sa sortie a fini de tuer l’attente de ce disque et l’achat parfois impulsif en boutique où il arrive de nous dire “bon ok là je ne le sens pas trop, mais c’est machin, alors je le prends et je le comprendrais à la maison”. Honnêtement parmi vous chers lecteurs / lectrices, qui va acheter ce disque ? Qui va l’acheter et se l’écouter plusieurs fois (avec plaisir) ? Qui va le conseiller à ses amis ?
Quoiqu’il en soit, Shed restera toujours Shed, what is done is done (and Well done my son). Mais pour l’heure, mieux vaut se concentrer sur autre chose et revenir quand le printemps aura fait fondre cette interrogation glacée, et laissé place à une terre propice au développement de nouvelles plantes plus fructueuses.
Pour une fois qu’on peut lire un article “critique” mais pas haineux, ça fait du bien !
J’ai quand même du mal à comprendre ce que tu veux dire par “producteur visionnaire”. Sa veut dire quoi au juste ? Qu’il produit un son “novateur”? Aucun sarcasme hein, mais je suis vraiment intrigué : si tu devais définir ce que c’est que pour toi aujourd’hui un son novateur, tu dirais quoi ?
(un exemple de track peut suffire)
Quand je vois que d’une part, la vue que j’ai de la blogosphère bande sur le dubstep et raconte à tout va que c’est le son du futur, et que d’autre part un journaliste que j’affectionne assez comme Lelo J. Batista crache royalement sur un album semblerait-il “fondateur”, de Burial, que “tout le monde” a adoré, je me demande : c’est quoi au juste le futur de la musique electronique ?
Alors peut-être que Lelo est juste un hater de plus, j’en sais rien, je l’aimais bien quand il postait sur gtc.
Je n’ai ni écouté Shed ni Burial et je ne me fais pas mon avis (enfin j’essaye) à partir des phrases bien tournées de l’intelligentsia. Mais c’est quand même intéressant d’avoir l’avis subjectif de quelqu’un qui a digéré plus de musique, de courants, que moi.
Et juste avant de finir, ok on aimerait bien trouver un nouveau génie, un mec qui “réinvente” la techno, mais est-ce que c’est “utile” finalement de chercher constamment la nouveauté dans le son, sur son fond ? Je vais peut être dire une grosse connerie mais quand j’écoute de la techno “dub”, j’ai l’impression qu’elle aurait pu être produite il y a 10ans.
Mais c’est pas un problème : tant que le track contient quelques éléments de surprise ou porteurs d’intérêt et que globalement c’est bien foutu, même si cela suit une recette bien établie, sa peut suffire non ?
Peut-être que l’évolution globale se fait graduellement, sans à coups, et que le mec qui avait vraiment du flair (consciemment ou pas), on ne le pointera du doigt qu’après coup.
Bon après promis je m’arrête : est-ce que les Juan Atkins & co avaient conscience qu’ils produisaient un truc vraiment novateur quand il bricolaient sur leurs 808 ? J’en suis pas convaincu. J’ai l’impression que toute la légende et le côté intellectuel de la chose ont été écris à postériori, parce que tout le monde a envie de lire ce genre de choses..
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En tout cas ce genre de post “sur le fond” fait vraiment du bien, je ne peux que regretter qu’il n’y en ai pas plus ici, vu que tu sembles être sincère et surtout en dehors de toute hype. ( je suis peut être naif ).
Un article qui taille à la fois le très surcôté Shedding The Past et les prods en plastique de Villalobos : tu me fait plaisir là ! Je commençais à me sentir seul… ;-)
Bon allez, je l’avoue également : je trouve que les Equalized et les Wax sont loin d’être des bombes. Des disques correct tout au plus mais malheuresement couvert de hype (comme les prods de Marcel en fait…).
hahahah enfin je l’attendais celui là.
Comme toi j’ai été un peu surpris par autant de tracks… aussi courts.
A vrai dire je suis un peu comme toi je le trouve ni bon ni mauvais. Mais surtout moins bon que shedding the past. C’est pas orienté dancefloor ce qui me dérange déjà.
Déjà j’avais vu son live à fuse on the beach. J’avais trouvé ça pas mal mais ça m’avait pas bouleversé contrairement à celui de van hoesen.
Je l’ai donc écouté ce pas nul mais je reste dubitatif aussi. Aucun morceau n’est mixable selon moi.
@gab : pour moi un artiste “visionnaire”, c’est celui qui produit aujourd’hui ce que les autres feront demain ou ce que la tendance sera demain. C’est celui qui anticipe. Ex : Monolake.
Je n’ai pas non plus aimé le premier album de Burial, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier le dubstep.
Personne ne réinvente la techno, tout le monde recycle et apporte sa (petite) touche.
@Transire : Ah non pas touche à mon Marcel !! Ok l’album est peut-être un peu à part (on en rediscutera) mais tous ses remixes baby, à chaque fois je me dis “oh non un super titre, pas encore Marcel, je ne vais plus avoir que lui dans ma discothèque !”.
@Paul : oui, pas mixable, et pas écoutable à la maison, alors on le case où ? (sous une table bancale pour la caler ? :-)